L’invisible écume des villes Recherche et projet sur le bidonville “Villa 31” à Buenos Aires
L’invisible « est aux usagers urbains contemporains ce que la masse manquante est à la géophysique de l’univers, si on ne l’intègre pas dans nos réflexions, rien ne se passe comme on l’aurait voulu ou comme on l’aurait cru»1. Or une des caractéristiques récurrentes de la ville mise en lumière par Richard Sennett est son étonnant entêtement à cacher derrière ses propres murs les différences. Elle créée aujourd’hui des limites imperméables, infranchissables, inhabitables entre les visibles et les invisibles. C’est là que le champ de son visible se réduit et cesse brutalement devant ce qu’elle ne souhaite pas voir: l’invisible. De quelle partie du monde notre époque s’avoue t-elle l’existence? Le «reality show» semble s’arrêter devant les portes des abattoirs, les services de soins palliatifs, les maisons closes, les prisons, les bidonvilles… Ces espaces de «l’invisible» sont ce que Michel Foucault nomme les hétérotopies, les contre-espaces, les espaces de compensation. Peut-on alors prétendre à la transparence de notre réalité, et donc du visible? Notre réel ne tente-t-il pas d’opacifier certaines zones jusqu’à les faire tomber dans l’ombre, créant ainsi des situations de «crise»? Une des réalisations les plus flagrantes de ce gommage des différences se situe à Buenos Aires et s’est concrétisé à l’occasion de la Coupe du monde de Football (1978) où la ville a construit un mur dissimulant son bidonville, trop proche des points attractifs. Dès lors que ces différences sont dissimulées, elles traversent la frontière du visible pour entrer dans l’univers invisible, impensé, mis en marge… Ces limites imperméables créent des espaces neutralisants, des espaces qui dissipent la menace du contact social, mais la ville n’est-elle pas «un lieu où des générations, des races, des classes, des manières de vivre et des capacités différentes peuvent toutes se rassembler dans la rue ou dans les grands immeubles; le ville est le foyer naturel de la différence»2 ?
1/ Philippe Mouilln – « Local.Contemporain n°3 » – Revue ed. « Le bec en l’aire » 2006 – p2
2/ Richard Sennett – « La conscience de l’œil » – Livre ed. « Verdier poche » 2009 – p133
Telecharger la recherche : INGRID_SABATIER_DPEA_ENSAPV